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La poste suisse rentre en force dans la cour du DEP (Dossier Électronique du Patient) avec le service Post Sanela. Elle se fait remarquer pour avoir réussi à s’interconnecter à tous les autres. Et si ça a une odeur de m., c’est pour monopole. Avant que je m’énerve, quelques explications.

Un DEP, c’est quoi

C’est un espace numérique, sur un ordinateur où vos données médicales (radios, analyses, rapports, etc.) sont stockées ensemble. Vous en avez la clé et pouvez en donner ou en retirer les accès aux acteurs de la santé qui vous suivent.

Références légales:

Loi fédérale sur le dossier électronique du patient (LDEP) – https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2017/203/fr 

Ordonnance sur le dossier électronique du patient (ODEP) – https://fedlex.data.admin.ch/eli/oc/2017/204

C’est qui, alors ?

Selon la loi sur le DEP celui-ci est géré par des communautés qui sont des unités organisationnelles de professionnels de la santé et de leurs institutions. En gros, ce sont les acteurs qui gèrent le DEP. Ils s’appellent des communautés de références. Ce sont elles qui se font certifier par la confédération. 

Un acteur, privé, institutionnel ou associatif, qui vous fournit la gestion du DEP. Il s’occupe de vous identifier et vous permettre d’y accéder, de vous fournir les outils numériques nécessaires pour l’utiliser. Il s’occupe aussi de le stocker et de le mettre à disposition de ceux avec qui vous avez choisi de le partager. 

Quelles communautés?

Pour rappel ces communautés sont actuellement aux nombres de cinq: 

  • ADSwiss: c’est l’ordre des médecins 
  • Abilis: c’est les pharmacies 
  • Mon Dossier santé: c’est Neuchâtel 
  • Cara: c’est Vaud, Genève, Valais et Fribourg 
  • Post Sanela: c’est Berne, racheter par la Poste Suisse (entreprise privée)

Vous remarquerez qu’il n’y a aucune initiative de la part d’une association de patients, de proches aidants, etc. C’est les médecins, les pharmacies, les cantons et une entreprise privée. Qui n’est plus un service public. Il n’y a pas non plus de groupement d’informaticiens là-dedans. Et, bien sûr, aucune solution que je pourrais copier sur mon ordinateur et tester à la maison.

Qu’est-ce qu’il y a dedans?

Techniquement ce n’est pas toujours très transparent et jamais Open Source. Donc, aucune idée et, peu ou pas de moyens de le savoir. Et surtout aucun moyen de tester ou d’auditer les outils mis en place. Mais on sait que la Poste Suisse fournit des outils/services informatiques à 3 des fournisseurs de DEP. Bizarrement, La Poste semble être le seul acteur à avoir su se rendre interopérable après avoir repris la solution bernoise. Vous la sentez l’odeur du monopole ?

Interopérable ? Kézako?

Toutes ces communautés doivent être interopérables. Ça fait mal aux oreilles? Attendez je vous explique. En gros, cela signifie que même en changeant de programme pour consulter ou accéder aux services, ça doit marcher. Par exemple: si je suis chez Cara et mon médecin est chez Abilis, pas de problème, je lui donne l’accès: maintenant il peut voir mon dossier et il peut le compléter avec une copie de ce qui me concerne. Mon hôpital utilise Mon Dossier Santé, toujours pas de soucis, il vous suffit de leur donner l’accès. Si c’était en urgence, ils ont pu avoir accès quand même, le temps que j’aille mieux. C’est ça être interopérable. C’est ça qui est dans la loi et c’est ce qu’ils ne font pas…

Et juste pour le fun…

Pendant une seconde, imaginons que je veuille héberger mon dossier de patient, chez moi. J’ai un serveur, je peux le chiffrer et donner les accès à ce que je veux, à qui je veux. Ou pire, imaginons que je veuille chercher à savoir si les normes sont respectées dans ma communauté de référence. Et bien, juste pour connaître les exigences (son petit nom c’est la norme ISO/IEC 29115:2013) ça me coûtera 173.00. Et c’est une norme que la loi oblige à respecter, mais que je ne peux pas connaître, sans payer. C’est beau la transparence!! Mais ne nous énervons pas tout de suite.

Maintenant, je m’énerve

En suivant les informations, l’actualité et les bavards qui peuplent internet et les cafés du commerce, on entend et voit beaucoup de commentaires sur la situation. Et ce n’est pas toujours très brillant… Florilèges.

C’est long quand même de faire tout ça…

Si c’est long, c’est peut-être parce que c’est un dossier administratif. Qui plus est médical. C’est normal que ce soit long à faire. Si vous deviez aller à un guichet, cela prendrait aussi du temps…

Et me dire que créer un dossier c’est trop long et compliqué, contrairement à faire un compte sur les réseaux sociaux: c’est comme dire que faire sa carte d’identité c’est moins marrant que de commander chez McDo. Et avec votre passeport: vous voulez le jouet surprise ou une grande frite? Mais calmons-nous.

Oui, ils ne sont pas interopérables, mais c’est compliqué, non ?

NON, ce n’est pas techniquement compliqué. Exemples:

Emails

Vous avez remarqué que vous soyez chez Gmail, bluewin ou infomaniak, vous pouvez envoyer et recevoir des mails ? C’est parce que c’est interopérable.

Le web

Vous pouvez l’utiliser depuis Firefox, Edge (Microsoft), Chrome (Google), safari (macOS), Brave, Opera… Et je ne parle pas de faire un site web. De WordPress à Drupal et SquareSpace à Wix, les choix sont aussi infiniment libres que privateurs de liberté et de vie privée! Et toujours interopérables.

Fédiverse !? Mes réseaux sociaux aussi peuvent être interopérables ?

Vous avez entendu parler des personnes qui ont quitté le Twitter de Musk pour un truc appelé Mastodon? Et bien, ça s’appelle le fédiverse et le boulot de la communauté de geeks qui développe ça, c’est de rendre nos usages en ligne interopérables. Chaque communauté développe un outil qui est ensuite hébergé dans plein d’endroits, appelé instance, réparti dans le monde de manière fédérée. L’idée est de permettre, comme pour les mails, à chacun de s’inscrire dans l’instance de son choix et de pouvoir parler ou s’abonner au contenu de n’importe quels utilisateurs d’une autre instance. Et en dehors de Mastodon pour des publications courtes, il y a PixelFed pour les photos, mobilizon pour les événements, Bookwyrm pour les critiques de livres ou encore des solutions de blog comme Write.li.

Résumons

Pour résumer, pendant que le DEP ne développait pas une ligne de code et se retrouve incapable de s’interconnecter. Et bien des geeks, hors revenus marchant, trouvaient le moyen de rendre interopérables des équivalents de Twitter, Facebook, Instagram, Meetup, Goodreads et blogger, entre autres, avec plusieurs centaines de millions d’utilisateurs, actifs au quotidien. Mais, le DEP, on attend toujours. Enfin les équipes derrière Nextcloud, une suite destinée à faire son dropbox maison, fourni à des médecins à travers le monde, des solutions, libres, open source, interopérable et sécurisé. Et ça aussi, c’est interopérable.

En attendant, les emails, le web et bien d’autres outils et protocoles font tourner internet efficacement, de manière interopérable, et ce DEPUIS LES ANNÉES 70!!! Mais, c’est compliqué, bien sûr et je suppose que les marmottes mettent le chocolat dans le papier d’alu…

Toi t’es technicienne, donc c’est facile pour toi, mais moi, c’est pas mon truc, tu comprends?

Mais je n’ai jamais dit que cela devait être facile! Pourquoi cela devrait être facile: il faut identifier la personne, il faut lui fournir les outils pour créer et gérer ses identifiants. Donc, ça prend du temps et c’est normal. On parle de votre dossier médical, pas de vos photos de vacances!

Et puis, pour moi, c’est tout aussi difficile de savoir le mettre en place et l’utiliser. Tout comme c’est différent de créer des moteurs de voitures et de savoir conduire. Donc, oui, pour moi aussi ça prend du temps: mais 1, je sais pourquoi (on verra après que ça ne me calme pas) et 2, je m’énerve moins que vous. Mais attendez, ça va venir!

C’est super sécurisé: SwissID, FaceID et CarteID, non ?

Alors, laissez-moi respirer, parce que là, je vais devoir rester zen. Parce que c’est surtout des mauvaises IDs…

SwissID: on parle du truc que la Poste voulait tellement vendre à la confédération qu’elle et ses partenaires ont essayé de le passer dans une loi, parce que personne n’en voulait ? Vous allez me dire que cela ne prouve pas que ce soit mauvais, mais dans la mesure ou ce type d’identification numérique repose sur un tiers de confiance, ça va être plus compliqué, parce que la confiance, là, il n’y en a pas beaucoup.

FaceID: On parle d’utiliser un visage et d’y rattacher une sécurité importante. Et ça, pour éviter un mot de passe que l’on peut certes oublier (installez un gestionnaire de mot de passe, nom d’un chien), mais surtout que l’on peut facilement changer, quand de vilains criminels l’on mit sur internet!! Allez changer de visage quand il y aura eu des fuites dans votre communauté DEP. On sait jamais, se sera remboursé par la LaMAL, tiens…

Carte d’identité: alors avant de savoir si vous savez comment scanner votre carte, vous savez sûrement prendre une photo avec votre smartphone, n’est-ce pas? Alors ma question est la suivante: vous allez avoir une copie conforme de votre carte d’identité: celle avec laquelle je peux prendre un crédit à votre nom, m’inscrire au registre du commerce et vous rendre responsable de tout crime que je décide de commettre, et vous allez la mettre dans votre téléphone. Dans votre téléphone où elle sera probablement copiée dans 12 ordinateurs (cloud) à l’étranger, comme GoogleDrive, iCloud, OneDrive, Dropbox ou peut-être tous à la fois, sans compter les Facebook, WhatsApp, Instagram et Tiktok qui adore scanner le contenu de votre téléphone et l’envoyer aux 4 coins du globe. Ben voyons, c’est tellement plus sûr.

C’est facile

On en revient à la facilité. Vous vous plaignez que c’est facile pour la geek que je suis, vous avez un peu pensé aux gens qui ont vraiment des difficultés ?

Les seniors et les juniors

Les seniors ne sont pas les plus à plaindre, ils ont de nombreux services à leurs dispositions pour les aider, mais de toute façon ceux qui ont un smartphone, sont généralement assez à l’aise avec eux. Ils en maîtrisent le fonctionnement de base et même si cela leur prendra un peu plus de temps pour assimiler un nouvel outil qu’un gamin de 12 ans, ils y arrivent. Leur manquent de confiance vient souvent du fait que TOUT le monde leur dit qu’ils sont incapables. Ensuite en hygiène numérique, ils sont bien plus prudents que beaucoup de gamins nés avec une tablette à la main, qui s’en fiche et qui obtiennent ce qu’ils veulent sans aucune forme de compréhension ou d’appréciation des conséquences. Je rappelle que les nouvelles générations qui entrent à l’université aujourd’hui NE SAVENT PAS envoyer un email…

Les actifs et les parents

Ils n’ont pas le temps. Quand on leur parle de numérique, tous galèrent, certains plus que d’autres, mais ils n’ont pas le temps. On dirait le lapin d’Alice au pays des merveilles En retard, en retard, je suis en retard!.

Ils sont aussi les plus vulnérables, ils sont ceux qui payeront les pots cassés quoi qu’il arrive. À l’exception de quelques personnes un peu geek, soit ils comptent sur un frère, cousin ou voisin qui les aide, soit l’informaticien de la boîte. Les autres sont largement dépassés et se laissent submerger par l’impuissance. Ils font confiance à n’importe qui, se repose sur les personnes aux guichets, quand il y en a encore, où se font déclassés rapidement dans leur travail. 

Bref à force de courir à la productivité, ils deviennent les esclaves des notifications de leurs outils numériques. Comment ça: t’es qu’une sale gauchiste?… On demande avant de tutoyer!

Ceux qui n’ont pas de smartphones

Et oui, BEAUCOUP de gens n’ont pas de smartphone ou ne savent pas l’utilisé en tant que tel. Ils s’en servent pour téléphoner (sacrilège) et en dehors de WhatsApp, n’ont aucune idée de ce qu’est une app. Ou bien, ils ont un téléphone à l’ancienne, sans app. Il se peut aussi que ce soit le téléphone du boulot et alors, pas question d’avoir son accès au dossier médical dans un téléphone que vous pouvez devoir rendre ou qui peut vous être changé à tout moment et auquel le patron a accès. Et enfin, ceux qui ont un téléphone trop ancien, et qui ne supportera pas des applications récentes et sécurisées, quand il y a suffisamment de place une fois qu’on y a mis l’application de la banque, du téléphone, de l’assurance, de la carte de crédit, de la crèche des enfants, etc.

Et ceux qui n’ont pas d’ordinateur

La double authentification repose sur le fait d’avoir 2 appareils. Mais de plus en plus de gens n’ont pas d’ordinateurs à eux. Ils ont peut-être celui du boulot et encore. Netflix est dans leur TV, les enfants ont des tablettes, un ordi ? Pour quoi faire ?

Et les non connectés ? Ça existe, si, si, j’en ai rencontré.

Et on ne compte pas tous ceux qui n’ont pas les moyens de s’endetter sur 2 ans pour avoir un smartphone ou un ordinateur!! Tout le monde n’a pas ça, mais je suppose que ce ne sont pas des gens de toutes façons, ils sont pauvres, probablement, trop occuper à payer les frais bancaires de la Poste (car ils possèdent moins de 7’500 CHF), ah, non, ça, c’est PostFinance, maintenant, que ce n’est plus un service public…..

Conclusion

J’enrage de voir une entreprise privée (non, la Poste n’est plus un service public) se payer la part du lion dans un marché qu’elle a tout fait pour dominer. Face à elle, des acteurs qui n’ont pour seules notions d’informatique: l’achat de licences et la signature (parfois même la rédaction, soyons fous) de contrats.

Personne ne semble s’intéresser à développer des outils efficaces, uniquement à vendre un produit: le DEP. Un nouveau marché clos et qu’elle contrôlera seule. Pourquoi croyez-vous que malgré le fait d’avoir plusieurs clients à elle sur ce marché, elle est la seule à faire le job correctement. Un nouveau marché où la Poste attend d’avoir un monopole pour en fixer le prix. Un prix qui va venir s’ajouter à nos frais de santé.

Ne vous trompez pas, un DEP, ça existe déjà. Si votre médecin utilise autre chose que des cahiers papier, alors, vous avez un dossier électronique. Juste pas encadré par une loi. 

Ne vous trompez pas un DEP ça a un coût. Élevé, certes, mais qui permet de développer des outils, de créer et d’encourager des compétences et des vocations. De pousser une multitude d’acteurs, privés, locaux, entreprises, individus, associations et institutions, à se certifier facilement et même de l’héberger chez soi ou à son cabinet. Bref tout ce qui ne se fait pas. 

Ne vous trompez pas le DEP à un coût, mais il sera toujours moins élevé que le jour où il aura un prix…